Trafic d’influences

Hors des sentiers battus
par Marc Chapleau

Marc Chapleau

Marc Chapleau

J’avais prévu vous parler de biodynamie aujourd’hui, plus spécifiquement du fameux calendrier établi, notamment, en fonction des mouvements de la lune. Vous le savez peut-être déjà : ce dernier stipule qu’il y a des jours plus indiqués que d’autres pour tel ou tel type de travail agricole. On aurait ainsi intérêt à planter en jour « racine », à récolter en jour « fruit », à effectuer la taille en jour « feuille ».

Et tout cela pourrait se transposer sur le plan de la dégustation comme telle, du vin en l’occurrence. Celui-ci semblera plus fruité en jour fruit, plus acide en jour racine, et ainsi de suite.

En fait non, possible plutôt que je mêle les pinceaux ici, ce n’est pas exactement cela. Mais peu importe, inutile de s’embourber dans les détails. (Et du reste, pour avoir l’heure juste sur ce calendrier biodynamique, on ira jeter un oeil sur ce que ma coéquipière Nadia Fournier a écrit récemment à ce sujet, ainsi que sur l’article fouillé du confrère Marc-André Gagnon, sur Vin Québec.)

Je ne nie pas, cela dit, que les vins se goûtent mieux certains jours pour des raisons en apparence inexplicables et pour ainsi dire abstraites, quasi ésotériques. Exemple, la lune.

Pleine lune au-dessus d'un vignoble de Wolf Blass

Pleine lune au-dessus d’un vignoble de Wolf Blass, en Australie, dans l’Eden Valley, non loin d’Adélaïde.

Sauf que la pression atmosphérique jouerait apparemment un rôle au moins aussi grand. Ce qui expliquerait qu’à une dégustation à laquelle je participais récemment et tenue un jour racine (et donc en principe défavorable), les vins ont tout de même bien paru, le fruit était éclatant, l’équilibre, impeccable.

Cette affaire de pression peut sembler tirée par les cheveux, sauf que le phénomène est bien connu du monde de l’aviation, les vins goûtés par les passagers paraissant en altitude souvent plus minces et plus acides.

LA COUR EST PLEINE !

Mais ce n’est rien, attendez. Aux humeurs de la lune et aux soubresauts de la pression atmosphérique, il faut ajouter, parmi les facteurs influençant les dégustateurs (tous, sans exception) et qui pèsent dès lors sur leur
jugement :

– l’état de santé du dégustateur lui-même

– son humeur du moment

– les odeurs environnantes et possiblement adverses

– le son ambiant et possiblement distrayant

– la propreté des verres, leur caractère tout à fait neutre

– la température de service

– l’ordonnancement des vins, par exemple un très costaud pouvant faire en sorte que le vin suivant paraîtra malingre, alors qu’il est pourtant normalement constitué.

Mais l’influence sinon la plus forte du moins la plus pernicieuse, on n’en sort pas, demeure encore celle exercée par les pairs, par les compagnons de dégustation.

C’est pour cette raison que dans une dégustation technique le silence est de rigueur. Il est même capital ! Hélas, il s’en trouve encore, même lors d’événements réunissant des professionnels, pour prendre à témoin la galerie en s’extasiant ouvertement sur tel ou tel vin, ou en le dénigrant à l’aide d’un soupir appuyé, voire d’une grimace.

Le pouvoir de suggestion, dans ces cas-là, est immense. Le phénomène est d’ailleurs bien connu : il suffit que quelqu’un près de vous dise par exemple « Ça sent la fraise », pour qu’en replongeant le nez dans son propre verre, on détecte nous aussi, sans même trop se forcer, ladite odeur…

EXPERT OU GIROUETTE ?

Comment peut-on alors se fier aux jugements émis par les critiques, si leur évaluation est tout sauf objective parce que soumise à un tas de facteurs souvent incontrôlables ?

Est-ce que ça ne veut pas dire qu’ils peuvent fort bien aimer un vin et nous le recommander chaudement, pour le regoûter le lendemain, dans un autre contexte, et ne plus en raffoler autant ?

Non seulement c’est fort possible, mais ça arrive assez souvent. Nos évaluations, nos commentaires, les scores qu’on donne aux vins, tout ça est à prendre avec des pincettes.

J’ose croire que si vous nous suivez malgré tout, si vous m’accordez par exemple à moi quelques onces de crédibilité, c’est juste une question d’atomes crochus. De confiance, quoi.

Ce qui compte, c’est notre performance globale par rapport à vos attentes et à vos propres constatations. Peu importe qu’on déguste sous influence ou non. Comme on dit dans le baseball, l’important, c’est notre moyenne au bâton.

Pour le reste, et il en va probablement ainsi pour tous les critiques, dans tous les domaines, on est là essentiellement pour l’entertainment.

Et, perso, je m’en accommode très bien 😉

~

À boire, aubergiste !

Hmm… je me suis compliqué les choses un peu, avec tout ça. Vous permettez quand même que je vous recommande une série de bons vins, à divers prix, sans mettre en contexte ? Sans vous dire dans quelles conditions ils ont été goûtés, il y avait qui à mes côtés (et peut-être lui, là, que je ne peux pas sentir), et si je les ai aimés encore le lendemain — si d’aventure je les ai regoûtés ?

Je vais présumer que oui, que j’ai votre absolution…

Je commence par le Fuzion Shiraz-Malbec 2013, d’Argentine. C’est dingue, je sais ! Moi le premier, j’ai goûté ce « petit » vin vendu une bouchée de pain en esquissant mentalement une moue… Eh bien c’est bon, tout à fait potable, et je n’ai pas eu besoin de le déguster à l’aveugle pour m’en rendre compte. Il y a du bois, oui, c’est racoleur, certes, mais le compte y est, ça ne s’écrase pas dans la bouche.

Fuzion Shiraz Malbec 2013 Domaine Michel Juillot Bourgogne 2012 Osoyoos Larose Petales D' Osoyoos 2011 Fontanafredda Barolo 2010

On change complètement de registre, et bien entendu de prix, avec le très bon Mercurey Domaine Michel Juillot 2012, un bourgogne rouge savoureux et énergique, déjà très agréable à boire, et un bon candidat pour le cellier.

Autre vin de très bonne tenue, relativement élégant même, le Pétales d’Osoyoos 2011 Osoyoos-Larose, rouge britanno-colombien qui a des airs de bordeaux et au boisé bien dosé.

Plus corsé, très piémontais, le Barolo Fontanafredda 2010 semble plus réussi que jamais dans ce millésime, il a du corps et de la mâche en plus d’une bonne acidité.

En blanc maintenant, j’ai bien aimé le Bourgogne aligoté Jean-Claude Boisset 2011, finement boisé (si tant est qu’il l’est) et rehaussé de notes de silex, de pierre à fusil. Autre belle surprise, le Pinot Gris Réserve Pierre Sparr 2013, blanc alsacien à la fois riche et rafraîchissant, avec une pointe de sucre résiduel.

Jean Claude Boisset Aligoté Bio Ecocert 2011 Pierre Sparr Réserve Pinot Gris 2013 Warre’s Otima 10 Year Old Port

Enfin, du côté des vins de dessert, le Warre’s Otima 10 Years old Tawny Port a un bon goût de noisette, d’amande et de caramel. Ne pas oublier de le servir frais, presque froid, pour tempérer l’alcool et exacerber le fruit.

Marc

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