Mon petit sherry !

Hors des sentiers battus
par Marc Chapleau

Marc Chapleau

Marc Chapleau

On a beau chanter ses louanges sur tous les tons depuis, disons, la nuit des temps, rien à faire : le xérès — ou le sherry, c’est selon — ça ne se vend pas.

Enfin si, la Société des alcools en écoule tout de même une certaine quantité. Sauf que les statistiques ne sont pas reluisantes. Une baisse de 6,3 % pour l’ensemble de la catégorie au cours de la dernière année.

Les seuls à connaître encore du succès au sein de la famille, avec une modeste hausse de 0,5 % des ventes (toujours en dollars), ce sont les finos et les manzanillas – des xérès secs, et même archisecs. Quoique, succès, c’est vite dit, puisqu’il s’en vend tout de même dix fois moins que les autres types de xérès, dont les sucrés : seulement 612 caisses standard de 9 litres l’an passé, alors qu’on parle d’un produit qui coûte en règle générale moins de 20 $ !

La question qui tue, maintenant : pourquoi en parler, de ces vins espagnols si particuliers, si à peu près personne n’en achète ?

Bon point.

La grande raison, je dirais, c’est que le xérès est peut-être, de tous les vins, celui à propos duquel le public et les spécialistes divergent le plus d’opinion. Autrement dit, il s’en vend très peu, mais je n’ai encore jamais rencontré un critique, un sommelier ou un journaliste qui n’aimait pas d’un amour sincère et profond le xérès, nommément le fino et la manzanilla.

la maison Lustau

Image tirée du site Internet de la maison Lustau, et où l’on voit les caves – les fameuses « cathédrales » – où repose le xérès.

Et je ne compte pas, non plus, le nombre de papiers consacrés à ce sujet qui commencent en disant quelque chose comme : « J’adore le xérès, c’est l’un des plus grands vins de la planète et pourtant, il demeure encore aujourd’hui sous-estimé. Permettez donc que je consacre ma chronique de cette semaine à vous convaincre de vous adonner, vous aussi, aux incroyables plaisirs que recèle cette perle de l’Andalousie… »

Bla bla bla.

Je ne me moque pas. C’est juste que je ne sais plus, moi non plus, par quel bout prendre mon consommateur pour l’intéresser à ce grand vin.

Un goût très particulier

Qu’est-ce que ça goûte, pour commencer ? Qu’a-t-il de si spécial pour que personne ne veuille s’en enticher ?

Parlons du xérès sec, de ce fino et de cette manzanilla. La couleur, d’abord : très pâle, au point où on dirait de l’eau. Le nez : ça sent surtout la levure, la poussière et la vieille cave, bourrée de champignons. Enfin en bouche, c’est comme je disais sec et même archisec. Au point où nombreux sont ceux qui font la grimace, quand ils y goûtent pour la première fois. Ouch !

Les Anglais ont une belle expression, pour cela : ils disent que le sherry, it’s an acquired taste.

En d’autres termes, il faut en apprivoiser le goût, les odeurs aussi. Spontanément, vite comme ça, it’s not love at first sight

Par contre, quand on tombe sur une belle bouteille, tous ces attributs en apparence rébarbatifs se conjuguent pour donner un vin fortifié (mais à peine, il ne fait en fin de compte que 15 % d’alcool environ) d’une incroyable pureté de saveurs et doté d’un profil à la fois austère et envoûtant, unique au monde.

Flor, solera, et cetera

Ce caractère distinctif du xérès est en grande partie lié à son procédé de fabrication. Que je ne vais pas vous expliquer ici, vous envoyant plutôt où vous apprendrez l’essentiel à propos de la flor et de la solera, notamment.

Tout de même, cette remarque. On entend souvent dire, un peu partout dans le monde, qu’un grand vin commence dans le vignoble. C’en est même rendu une sorte de cliché. Or, dans le sud de l’Espagne, autour de la ville de Jerez de la Frontera même ou près de Sanlucar de Barrameda (patrie de la manzanilla), les vignobles ont longtemps été délaissés, beaucoup de producteurs — sauf les meilleurs, comme de raison — s’approvisionnant en vin auprès de coopératives, au prétexte que de toute façon, c’est la fortification et surtout la solera qui font le xérès.

Comme quoi même sur ce plan, le fameux vin andalou fait bande à part.

De bons xérès à la SAQ

Il vient d’arriver quelques xérès de la maison Lustau, dans les magasins du monopole. Ça tombe bien, parce que les finos et les manzanillas gagnent à être bus le plus tôt possible. L’idéal serait même de les boire sur place, dans un bar à tapas, tirés directement du fût. Mais bon, contentons-nous de se rendre dans une SAQ près de chez nous…

Pour s’initier au xérès (ou pour prendre ses jambes à son cou — je blague), rien de tel que la manzanilla Papirusa de la maison Lustau, fine et délicate, et avec une odeur évoquant la craie. Plus puissant, et qui sent la noisette ainsi que l’olive verte, le Fino Solera Lustau est à sa façon tout aussi bon.

Emilio Lustau Papirusa Solera Reserva Very Dry Manzanilla Lustau Puerto Fino Solera Reserva Osborne Fino Quinta Sherry (375ml)

Le classique d’entre les classiques, c’est cependant le Tio Pepe, plus corsé encore tout en demeurant bien sec. Bravo, en passant, à la maison Gonzalez-Byass pour avoir inscrit la date d’embouteillage sur la contre-étiquette. Autre bon choix, le Fino Quinta Osborne, épicé et bien vif, et en plus bouché à l’aide d’une capsule dévissable, pour plus de fraîcheur.

Un dernier fino sec, mais pas un xérès à proprement parler puisqu’il provient de la région de Montilla-Moriles, plus au nord : le Fino Capataz Alvear est plus délicatement marqué par la flor et il a une touche sucrée, qui évoque le chocolat blanc.

Enfin, une incursion du côté des xérès doux et aussi un poil plus alcoolisés, à 18 % en moyenne. Par contre, ceux-là sont plus faciles à aimer d’emblée, riches, veloutés et sucrés comme ils le sont.

Alvear Capataz Fino Montilla Moriles Alvear Amontillado Gonzalez Byass Solera 1847 Oloroso Dulce Gonzalez Byass Noe Pedro Ximenez Aged 30 Years

Le Medium Dry Alvear (un montilla-moriles et donc un quasi-xérès lui aussi) est sucré et noisetté, ni tout à fait sec ni tout à fait doux.

Le Solera Cream 1847 de Gonzalez-Byass est une sorte de vieux tawny portugais, pas trop liquoreux, délicieux à siroter.

Enfin le Noe Pedro Ximenez 30 ans est quasi brun, très très sirupeux et très très particulier, mais sans pour autant être dénué de complexité.

Santé !

Marc

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