Les bons achats de Marc – Novembre 2018

Le Rhône, dont Guigal
par Marc Chapleau

Marc Chapleau

Marc Chapleau

Qui ne connaît pas, ne serait-ce que de nom, les côtes-du-rhône? Des vins généreux, à près de 90 % rouges, qu’on retrouve depuis des lunes à la Société des alcools, déclinés sous une multitude d’appellations.

Ce que l’on sait peut-être moins, c’est que la région est en quelque sorte bipolaire. Mais pas au sens de : tantôt je suis high, tantôt eh que la vie est plate…

« Il y a autant de différences entre le Rhône Nord et le Rhône Sud qu’entre Bordeaux et la Bourgogne », m’a ainsi déjà confié René Rostaing, célèbre vigneron de l’appellation côte-rôtie. Les deux univers n’ont, effectivement, que très peu en commun, hormis le Rhône lui-même, qui les traverse de part en part et se jette dans la Méditerranée.

Un monde sépare en effet la portion nord, qui commence à une quarantaine de kilomètres au sud de Lyon, de celle située plus au sud, cette fois en gros dans l’orbite d’Avignon. D’abord parce que le cépage des grands rouges septentrionaux que sont les côte-rôtie, hermitage, cornas et compagnie est la syrah et exclusivement la syrah – qu’on assemble toutefois parfois avec du raisin blanc, en certaines appellations. Et secundo, un monde de différence parce que les crus du Nord, dotés d’un formidable pouvoir d’attraction auprès des connaisseurs, ne constituent qu’environ 4 pour cent de la production totale de la vallée du Rhône. Une goutte d’eau dans le fleuve!

UN NO MAN’S LAND

En quittant le Nord et l’appellation cornas, une sorte de no man’s land dépourvu de vignes s’étire jusqu’à Montélimar. La transition s’observe également sur le plan climatique, la zone tempérée aux sols souvent granitiques cédant le pas au climat méditerranéen et aux sols plus variés à dominante calcaire.

Plus bas encore, aux portes d’Avignon, on entre dans le royaume du cru le plus célèbre de toute la vallée : châteauneuf-du-pape. Gravitant autour du sympathique village de Châteauneuf, les satellites formés par les couples gigondas-vacqueyras et lirac-tavel jouissent eux aussi d’une excellente notoriété.

Mais outre sa taille, le Rhône Sud se distingue également par le nombre de cépages qu’on y autorise. Le cas de châteauneuf-du-pape l’illustre d’ailleurs bien, où treize cépages peuvent entrer dans l’élaboration du vin alors qu’en pratique toutefois, la majorité des vignerons se limite à en incorporer cinq ou six à l’assemblage, dont l’incontournable grenache. Si la voluptueuse syrah est le fleuron du Nord, ce dernier, vigoureux et résistant au vent comme à la sécheresse, est la vedette du Sud.

DES GOÛTS DIFFÉRENTS

En règle générale, les crus septentrionaux sont plus colorés, plus corsés et plus charnus. Les vins du Sud sont un peu plus capiteux – le grenache ayant un fort potentiel alcoolique. Ajoutez à cela des arômes souvent animaux marqués par le cuir, les épices et le sous-bois, et on a là l’archétype des vins masculins, robustes et généreux tout en conservant, dans le cas des meilleurs, une bonne fraîcheur et beaucoup de fruit.

Entre ces deux pôles, une mer de vins moins prestigieux et très divers, constituée par les simples «côtes-du-rhône» et les «côtes-du-rhône-villages», qui représentent plus de 60 pour cent de la production totale du vignoble rhodanien.

DU BLANC ET DU ROSÉ AUSSI

La mainmise des vins rouges sur la production n’interdit pas de s’intéresser aux blancs et aux rosés. Ces derniers accaparent du reste la totalité de la très connue appellation Tavel. Quant aux blancs, ils sont à l’image de la région : corsés et généreux sans toutefois, dans l’ensemble, bénéficier d’énormément de fraîcheur et d’acidité. Des vins plutôt sérieux donc, un brin austères – exception faite de l’exubérant condrieu, sorte de gewurztraminer rhodanien avec ses prenantes odeurs d’abricot et de litchi quand il n’est pas assommé par des notes vanillées apportées par un séjour dans le chêne neuf.

À noter enfin qu’on élabore aussi du liquoreux dans le Rhône, pour l’essentiel à Beaumes-de-Venise (muscat) et à Rasteau, où le «vin doux naturel» rappelle le porto violacé en moins capiteux, en plus digeste.

INCONTOURNABLE GUIGAL

Changement total de sujet – enfin, presque.

Saviez-vous que Philippe Guigal, oenologue, fils de Marcel et petit-fils d’Étienne, le patriarche, imite notre accent à merveille. « Alors comme ça ces messieurs les Québécois sont arrivés », avait-il commencé par dire en accueillant voilà quelques années l’équipe du magazine Cellier à leurs installations d’Ampuis.

Et Philippe d’enchaîner alors avec un clin d’oeil appuyé : « Franche-min, ça fait plaisir de vous recevoir et bin non, y a pas de souci pour le léger
retard… »

Et il est bon en plus, l’animal, tout à fait dans le ton. Tout le monde éclate de rire. Un peu jaune, quand même. Jamais bien loin, dans ma tête à moi en tout cas, le fameux épisode Thierry Ardisson et Nelly Arcan, le « Mais madame, on ne parle plus ainsi depuis le XVIIe siècle… »

Autrement dit, on les fait rire et d’un autre côté on les emmerde – la contradiction ici n’étant qu’apparente.

Trêve d’anecdotes, mentionnons que si Guigal commercialise au total plus de 8 millions de bouteilles par année, dont près de 200 000 de son « simple » côtes-du-rhône au Québec, la maison demeure en revanche farouchement familiale et les gros chiffres et la notoriété planétaire côtoient, sur place, au quartier général même, une ambiance quasi bon enfant.

À BOIRE, AUBERGISTE !

Philippe Guigal, aujourd’hui âgé de 43 ans, que j’ai connu haut comme ça   mais je ne vais pas le dire pour ne pas faire mon mononcle, l’héritier Guigal, donc, était au Québec cette semaine. Il a notamment fait goûter aux chroniqueurs et autres influenceurs un assez large éventail de ses vins, tout en nous régalant, bien sûr, de ses talents d’imitateur.

Voici, parmi les cuvées dégustées, celles que j’ai retenues et qui sont, surtout, présentement en vente à la SAQ. À surveiller, par ailleurs, l’arrivée prochaine des excellents châteauneufs-du pape du Château de Nalys, propriété de la famille Guigal depuis 2017.

Quelques autres très bons vins, élaborés par d’autres maisons rhodaniennes, figurent également ci-dessous.

E. Guigal Côtes Du Rhône 2015 – Il s’est vendu l’an dernier au Québec près de 200 000 bouteilles de ce côtes-du-rhône générique de très bonne facture, légèrement poivré (50 % de syrah), pas si corsé et d’une certaine élégance.

E. Guigal Ex Voto Ermitage Blanc 2013 – Grand vin du Rhône Nord composé de marsanne (90 %) et de roussanne. Très boisé (100 % fût neuf), puissant, des notes miellées, grande profondeur. Prix à l’avenant.

E. Guigal La Turque 2013 – Beaucoup de finesse dans ce côte-rôtie par ailleurs ample et frais, à la fois intense et d’une grande suavité. Finale épicée, d’une belle persistance. Prix très élevé, à 475,50 $.

E. Guigal Côtes Du Rhône 2015 E. Guigal Ex Voto Ermitage Blanc 2013 E. Guigal La Turque 2013

Jean Michel Gerin La Champine 2016 – Un rouge d’appellation « Vin de France » et une syrah du Rhône très satisfaisante, bien que la réduction soit prononcée, il vaut mieux l’aérer d’entrée de jeu. On y gagne d’autant que derrière, le fruit et la densité sont là, c’est à la fois corsé et souple, passablement en chair. Moins de 25 $.

Domaine Combier Crozes Hermitage 2016 – Grande fraîcheur et typicité dans ce crozes de Combier, un poil réduit, souple et charpenté à la fois, mi-corsé seulement.

J.L. Chave Sélection Mon Coeur Côtes Du Rhône 2015 – Le nom fait un peu cucul, mais passe par-dessus mon lapin, tu vas aimer… À peine corsé, souple et distingué, caractère légèrement capiteux (le boire assez frais), finale épicée.

Maison Les Alexandrins Par Nicolas Perrin Crozes Hermitage 2015 – À moins de 30 $, un excellent crozes-hermitage, épicé et tendu, sans grande finesse mais très savoureux.

Jean Michel Gerin La Champine 2016 Domaine Combier Crozes Hermitage 2016 J.L. Chave Sélection Mon Coeur Côtes Du Rhône 2015 Maison Les Alexandrins Par Nicolas Perrin Crozes Hermitage 2015

Les Vins De Vienne Crozes Hermitage 2016 – Excellent blanc du Rhône Nord à base de marsanne, fruité et aromatique, avec des notes évoquant la cire d’abeille. Les saveurs suivent, corsées et enrobées, bien soutenues par l’acidité. Par ici la morue, le saumon, le turbot et cie !

Delas Cornas Chante Perdrix 2016 – Des notes de réduction au premier nez dans ce cornas par ailleurs à peine corsé, avec de la profondeur dans les saveurs et une texture relativement serrée, ainsi qu’une pointe de minéralité en finale. Encore sur la retenue, on gagnera à l’aérer vigoureusement ou, sinon, à l’attendre quelques années.

Delas Domaine Des Genêts Vacqueyras 2015 – Belle bouteille que nous propose là la vénérable maison Delas, à la fois typée, mi-corsée, concentrée et désaltérante, avec beaucoup de fraîcheur.

Les Vins De Vienne Crozes Hermitage 2016 Delas Cornas Chante Perdrix 2016 Delas Domaine Des Genêts Vacqueyras 2015

Marc

Note de la rédaction: vous pouvez lire les commentaires de dégustation complets en cliquant sur les noms de vins, les photos de bouteilles ou les liens mis en surbrillance. Les abonnés payants à Chacun son vin ont accès à toutes les critiques dès leur mise en ligne. Les utilisateurs inscrits doivent attendre 30 jours après leur parution pour les lire. L’adhésion a ses privilèges ; parmi ceux-ci, un accès direct à de grands vins!