Soif d’ailleurs – Le pire, le meilleur

par Nadia Fournier

Nadia Fournier

Nadia Fournier

Depuis la mi-octobre, Montréal a été inondée de visites vigneronnes. Chaque semaine, ils arrivaient par dizaines. De quoi vous remplir un agenda avec deux, trois (voire quatre) dégustations par jour. Un peu étourdissant, mais qui oserait s’en plaindre? C’est quand même une joie de pouvoir tâter le pouls des derniers millésimes et de l’actualité des différentes régions viticoles du monde, sans faire les frais des aéroports et des nuits blanches.

Ce que je retiens des rencontres faites pendant ce gris novembre ? Beaucoup de micro-détails, mais surtout deux échanges. L’un respectueux, posé et édifiant; l’autre cavalier, confus et abrutissant. Le meilleur et le pire…

Le pire nous a été servi par l’ambassadeur d’une importante entreprise italienne qui, tout d’arrogance vêtu, était venu donner des leçons de dégustation à un groupe de chroniqueurs en vin, multipliant au passage les clichés et les faits alternatifs.

L’acétone dans le nebbiolo ? Une manifestation du terroir, selon lui. L’incidence de l’élevage en barriques neuves sur le style moderne qu’arborent certains vins de Barolo ? Rien de plus qu’une vue de l’esprit. Le bio ? Inutile et impertinent – notez que la maison s’en revendique tout de même, sans pour autant faire appel à des organismes de certification reconnus…

Un florilège de n’importe quoi et de mauvaise foi. J’en suis sortie sans voix.

Quelques jours plus tard, peut-être pour restaurer ma foi en notre profession dans son sens large, la vie a mis sur ma route un être exceptionnellement brillant et articulé: Jean-Louis Chave, vigneron dans le nord de la vallée du Rhône.

Dans son discours, peu de mots sur le contenu du verre. Féru d’histoire beaucoup plus que d’autopromotion, il préfère raconter comment les coteaux orientés plein sud, qui constituaient autrefois le noyau historique de l’appellation St-Joseph, ont été délaissés, au tournant du 19e siècle. Ou encore comment une famille paysanne a sur profiter de la crise économique engendrée par le phylloxéra pour accéder aux meilleures parcelles de l’Hermitage, jadis réservés aux grands seigneurs.

Il évoque du même souffle qu’il ne voit rien de choquant dans l’acquisition du Clos de Tart par François Pinault ou du Clos des Lambrays par Bernard Arnault (LVMH). « Historiquement, les grands crus n’ont jamais appartenu à des paysans, mais plutôt à des seigneurs, des propriétaires nantis qui avaient les moyens d’entretenir la terre. Les hommes d’affaires sont en quelque sorte les seigneurs modernes et ce qui se passe en Bourgogne en ce moment n’est qu’un retour du balancier. »

En ces temps d’errance où les fake news se mêlent à la réalité, je vois dans l’histoire un point d’ancrage presque vital et dans un discours si nuancé, un antidote au pessimisme et au cynisme.

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Venons-en au vin…

L’homme, en son sens large, est capable du meilleur et du pire. Chaque région viticole et chaque cépage aussi. Par conséquent, on ne peut balayer du revers de la main une appellation entière sous prétexte d’une ou deux déceptions. Enfin, je dis ça, mais je me suis moi-même fait prendre plus d’une fois au jeu des « moi, j’aime pas les… »

Pendant longtemps, ne connaissant que le pire du cépage zinfandel, je l’ai détesté avec passion. Aujourd’hui, mon rapport au Zin se situe plutôt dans un registre amour-haine. Je crains comme la peste les monstres de puissance qui saturent le palais avec leurs 17 % d’alcool et leurs goûts torréfiés, mais je ne me lasse pas d’en boire quand il se montre sous un jour sobre, savoureux et digeste.

Même constat pour les rouges de Châteauneuf-du-Pape, que j’ai mis du temps à comprendre. J’avais goûté plein de très bons, même d’excellents châteauneufs, mais rien qui puisse se mesurer aux « grands vins » des appellations du nord. Puis, il y a eu quelques révélations : de très vieilles bouteilles (sans étiquette) sorties de la cave de l’hôtel La Mirande, à Avignon, les vins du Domaine Bois de Boursan, la cuvée Chaupin du Domaine de la Janasse, Château Rayas… Autant d’exceptions qui marient l’élégance et le dépouillement à une générosité toute méditerranéenne. De quoi vous réconcilier avec le grenache en une gorgée.

Et que dire des ripasso et amarone, nero d’avola, des pinot noir et chardonnay américains, etc. Dans chaque catégorie, même dans les grandes appellations, on trouve du médiocre, du correct, du très bon, de l’excellent et, plus rarement, du grand. À chacun son vin… en espérant vous dénicher le meilleur et vous éviter le pire.

Maintenant, que le meilleur ! 

La famille Chave cultive la vigne depuis 1481 – et 16 générations – dans le nord de la vallée du Rhône, d’abord établie sur les coteaux historiques de Saint-Joseph, puis sur la colline de l’Hermitage, où elle a migré suite à la crise du phylloxéra. Jean-Louis Chave veille aujourd’hui sur une vingtaine de parcelles réparties sur sept lieux-dits de la colline, qu’il continue d’assembler pour ne produire que deux hermitages: un rouge et un blanc. « Cette façon de faire n’a rien de révolutionnaire, précise t-il, elle puise ses racines dans une tradition millénaire. Avant, tout était assemblé. Les vinifications parcellaires sont très récentes dans l’histoire de l’Hermitage. »

Cette philosophie, ce respect des traditions, prend tout son sens dans le verre, quand on goûte côte à côte les cuvées de l’Hermitage. Deux vins plus grands que nature, qui définissent le genre, tant en blanc qu’en rouge. Malheureusement, les deux vins (Hermitage rouge 2013 et Hermitage blanc 2013; 267 $) dégustés lors de la rencontre étaient déjà pratiquement disparus des tablettes. Il faudra donc surveiller de près l’arrivée des 2014, excellent millésime pour les blancs, qui a donné aussi de très bons rouges de facture classique.

Domaine Jean Louis Chave Hermitage Rouge 2013Domaine Jean Louis Chave Hermitage Blanc 2013Pierre Gaillard Rose Pourpre 2014

En attendant l’arrivée des 2014 de Jean-Louis Chave, l’amateur de syrah du nord trouvera sans doute son bonheur avec le Côte-Rôtie 2014, Rose Pourpre de  Pierre Gaillard (133 $). Le 2014 est tendre et velouté, sans être crémeux; riche d’une foule de nuances, il égrène les épices douces, la fumée, les accents rôtis. Excellent!

Pour découvrir ou redécouvrir Châteauneuf sous un jour « civilisé » goûtez le Châteauneuf-du-Pape 2012 (44,25 $) de Mont-Redon. Le domaine des familles Fabre et Abeille privilégie toujours un style classique, misant davantage sur l’harmonie et sur l’équilibre que sur la puissance et la concentration.

Tout aussi frais, mais de facture un peu plus traditionnelle encore, Le Vieux Donjon Châteauneuf-du-Pape 2015 (59,25 $) est un modèle du genre. Déjà savoureux et étonnamment agréable à boire, bien qu’il soit à peine âgé d’à peine 2 ans, il exprime toute la profondeur du terroir de Châteauneuf, sans maquillage inutile. D’autant plus recommandable qu’il a l’habitude de vieillir avec grâce.

Château Mont Redon Châteauneuf Du Pape 2012Le Vieux Donjon Châteauneuf Du Pape 2015Clos Du Mont Olivet La Cuvée Du Papet Châteauneuf Du Pape 2012Emilio Valerio Vina De San Martin 2012

Un cran plus musclée et nourrie, la Cuvée du Papet 2012 du Clos du Mont-Olivet (94 $) étonne tout même par sa puissance contenue et par la pureté de ses saveurs d’olive noire, d’épices et d’herbes séchées. Déjà savoureux, mais il devrait reposer en cave jusqu’en 2022.

Un dernier grenache, puisque c’est bientôt l’hiver et qu’il n’y a pas de meilleur moment de l’année pour apprécier la nature chaleureuse de ce cépage reconnu pour ses vins riches en alcool. Produit bien au sud du Rhône, dans la région espagnole de la Navarre, le Viña San Martin 2012 de Laderas de Montejurra (61 $) est issu de vignes de garnacha âgées de plus de 70 ans et plantées entre 500 et 1000 mètres d’altitude. Beaucoup de structure, de l’intensité contenue et une longue finale relevée. 

Amarone et valpolicella pour la tourtière 

Les vins de la Valpolicella sont eux aussi capables du meilleur et du pire. Et de toutes les grandes appellations d’Italie, l’Amarone est certainement l’une de celles qui polarisent le plus les professionnels. Ce vin dont le nom pourrait se traduire comme « grand amer » naît du processus appassimento, dans lequel les raisins sont mis à sécher pendant plusieurs mois après la récolte et avant la fermentation. On tire donc de ces raisins flétris un moût très concentré, aussi riche en sucre – donc à fort potentiel alcoolique – qu’en acidité, ainsi qu’en parfums herbacés, qui contrastent avec l’impression de maturité.

Traditionnellement connu sous une forme plus sucrée, le recioto della Valpolicella, l’amarone n’a été vraiment commercialisé comme tel que dans les années 1950, par des producteurs comme Bertani et Bolla. Le succès international qu’il connaîtra au cours des décennies suivantes aura pour effet une certaine industrialisation des méthodes de production et une dilution de la qualité. Cela dit, encore aujourd’hui, nombre de producteurs restent attachés au style classique, à la fois généreux et austère, qui fait tout le charme de cette spécialité vénitienne.

En visite à Montréal il y a quelques semaines, Riccardo Tedeschi est venu présenter quelques vins du domaine familial, dont la grande majorité des vignobles sont situés sur les pentes de la Valpolicella Classico, à l’est du lac de Garde.

Issue d’une parcelle rachetée en 1908 par la famille Tedeschi, l’Amarone della Valpolicella 2011, Capitel Monte Olmi (85,75 $) offre un équilibre impeccable en bouche. L’acidité, la structure tannique et une matière fruitée généreuse sont réunies dans d’heureuses proportions et donnent un amarone dont on a soif. Déjà excellent, il sera à son meilleur jusqu’en 2022.

Les années passent et le Capitel San Rocco 2015 (21,05 $) reste l’un des bons exemples de Ripasso – spécialité véronaise refermentée sur les marcs d’amarone – disponible à la SAQ. Élevé pendant six mois dans des foudres en chêne de Slavonie, le vin n’est jamais crémeux ni sucré et sa charpente tannique est assez solide pour encadrer la masse fruitée.

Tedeschi Capitel Monte Olmi 2011Tedeschi Capitel San Rocco Ripasso Valpolicella Superiore 2015Tedeschi Maternigo Valpolicella Superiore 2014Gulfi Nerojbleo 2012

Encore meilleur que le 2013 goûté au courant de l’été, le Valpolicella Superiore 2014, Maternigo (29,90 $) porte quant à lui les traits d’un millésime frais. Beaucoup de caractère et de vigueur. On pourra le boire aisément jusqu’en 2024.

À l’extrémité sud du pays, en Sicile, le cépage nero d’avola est connu pour donner des rouges costauds, parfois même un peu lourds. La découverte des vins de la famille Catania a été pour moi une révélation. En fait, il y a eu un avant et un après Gulfi. Le vignoble est conduit en agriculture biologique, sans irrigation, et les raisins sont récoltés à la main.

Cela peut sembler banal, mais dans le verre, ces détails se traduisent par un monde de différence. Rarement ai-je goûté un nero d’avola si vibrants, nerveux et sincères que le Nerojbleo 2012 (24,95 $), tout juste arrivé à la SAQ. Des tanins compacts, enrobés d’un fruit mûr et soutenus par une saine acidité qui donne du mordant au vin. À découvrir! 

Une nouvelle « petite Bourgogne »?

Malgré sa courte histoire – le premier millésime commercialisé remonte à 2004 – Rhys Vineyards s’est vite imposé parmi l’élite du pinot californien, avec des vins gracieux, fins, structurés et harmonieux. Le parcours de son fondateur, Kevin Harvey, ressemble à tant d’autres: un amoureux de pinot noir qui a fait fortune dans un domaine X (l’informatique dans son cas) et qui a décidé de planter de la vigne. Rien d’original jusqu’ici. Sauf que le rapport de Harvey avec le pinot dépasse la simple histoire d’amour. Elle tient plutôt de l’obsession.

En 1995, il a planté 35 ceps de pinot noir derrière sa résidence, située à l’ouest de Palo Alto, dans les hauteurs de Santa Cruz. La superficie du vignoble a grandi peu à peu, au fur et à mesure qu’il découvrait des morceaux de terre dignes d’intérêt, sur différents sites, avec différents types de sols, la plupart soumis à l’influence océanique et tous cultivés selon les principes de la biodynamie.

Rhys Horseshoe Vineyard Pinot Noir 2012Rhys Horseshoe Vineyard Chardonnay 2013

Planté en 2004, le Horseshoe Ranch est situé sur un escarpement et bénéficie de températures fraîches, grâce à la proximité de l’océan. Même issu de jeunes vignes, le Pinot noir 2012, Horseshoe Vineyard, Santa Cruz Mountain (175 $)  distille l’essence délicate du pinot, avec une netteté et une précision du fruit peu communes en Californie. Pas donné, mais dans une classe à part.

Kevin Harvey fait preuve d’autant de finesse dans l’élaboration de son Chardonnay 2013, Horseshoe Vineyard, Santa Cruz Mountain (153,50 $); profond, racé et mis en valeur par un usage sensible du bois. Déjà excellent et promis à un bel avenir. Les deux cuvées sont disponibles en exclusivité dans les succursales Signature.

À la vôtre!

Nadia Fournier

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