Le dégustateur et son ombre

Hors des sentiers battus
par Marc Chapleau

Marc Chapleau

Marc Chapleau

Je sors des sentiers battus, cette semaine, en ce sens qu’on va aborder un sujet sinon tabou, du moins dont on ne parle pas souvent : l’instinct de possession de l’amateur de vin, son identification aux bouteilles qu’il possède et qu’il entrepose religieusement dans son cellier.

Autrement dit, mettons que j’apporte un Château Palmer 2000 chez des amis pour souper, alors je suis Château Palmer 2000.

Et gare à vos fesses si vous dites du mal de moi !

J’ai pensé à cela récemment, en écoutant à la radio une entrevue donnée par Edgar Fruitier.

Ce grand mélomane et fin connaisseur parlait de « sa » musique, « sa » symphonie, « son » orchestre et de tel ou tel disque parmi les milliers de sa collection. L’intervieweur, gentiment, le rappelle à l’ordre : « Vous dites “ma” musique, mais ce n’est pas la vôtre, vous ne l’avez pas composée et vous ne la jouez pas non plus… »

Edgar Fruitier de répliquer: « Non, c’est composé par Untel et joué par tel orchestre ou instrumentiste, je vous le concède, mais ça demeure “ma” musique ! D’ailleurs, écoutez… c’est beau, non ? »

Pareil pour nous. Apporter une bouteille après l’avoir mûrement sélectionnée, la partager, c’est dans notre esprit comme mettre notre sceau dessus, comme en garantir la qualité.

Les amateurs de tout poil — et peut-être encore plus les passionnés de fraîche date, à l’enthousiasme débordant — ont déjà ressenti cela : l’impression, quand le vin qu’on a apporté à une dégustation ou à une soirée se fait contre toute attente descendre en flammes, d’être soi-même mis sur le bûcher… Dieu qu’on en fait une affaire personnelle. Comme si c’était nous qui avions fait le vin !

Mais voilà, quand on l’achète, qu’on la chérit et qu’on la bichonne durant des années, la bouteille devient effectivement nôtre, elle fait pour ainsi dire partie de nous. Après tout, elle était dans mon cellier, c’est moi qui l’ai apportée, moi qui vous l’offre…

Alors quand ça va mal à table, quand notre vin déçoit, c’est comme si le cheval qu’on présentait à une course et sur lequel on invitait tout le monde à miser s’avérait au bout du compte une picouille. Pas même foutue de galoper, ou pire encore, qui ne sait que trottiner à reculons… Le comble, c’est que même si le cheval est perdant, même s’il est, je ne sais pas moi, bouchonné ou fatigué, l’amour est aveugle et, donc, on le défend bec et ongles.

On voudrait tellement qu’il brille. Et que la tablée au complet nous aime, par ricochet : « Wow ! Quel beau cadeau tu nous fais là ! T’as raison, il est superbe, ton vin. »

Je ne suis pas pour autant en train de dire qu’il faut se défaire de cette attitude possessive.

Quoique… oui, dans le cas des buveurs d’étiquettes. J’ai d’ailleurs plus d’une fois refusé de prendre part à des dégustations soi-disant de prestige parce que je savais qu’il y aurait des label drinkers à table, souvent fortunés, et que ces gens-là, plus encore que tous les autres, détestent qu’on émette le moindre bémol sur leurs vins. Or comme j’ai une grande gueule…

Mais sinon, s’identifier à ses bouteilles, développer une sensibilité maladive à leur égard, c’est loin d’être une mauvaise chose. J’ai même l’impression que ça fait partie intégrante du jeu.

Edgar Fruitier a bien raison : tous autant qu’ils sont bien au frais dans nos caves, et même élaborés par tel vigneron ou telle maison, ce sont « nos » vins, « nos » bébés et d’ailleurs, goûtez… ils sont bons, non ?

Ton meilleur vin, aubergiste !

Trêve de réflexions. Voici, parmi les vins que j’ai eus l’occasion de boire récemment et qui sont encore disponibles à la SAQ, quelques belles bouteilles auxquelles, perso, je m’identifierais volontiers 😉

En blanc, le Alois Lageder Pinot Bianco Haberle 2012 d’une région encore méconnue, qui sort, elle aussi, des sentiers battus : l’Alto Adige, le Tyrol italien, près de l’Autriche. Puissant et fin.

Alois Lageder Pinot Bianco Haberle 2012 Osoyoos Larose Le Grand Vin 2009 Domaine Chanson Pernand Vergelesses Premier Cru 2011 Château Montus Cuvée Prestige 2009

En rouge, Le Grand Vin 2009 Osoyoos-Larose, l’un des meilleurs Le Grand Vin qu’il m’ait été donné de goûter jusqu’ici. Puis le Domaine Chanson Pernand Vergelesses Premier Cru 2011, minéral, d’une belle pureté de fruit. Le Chateau Montus Cuvee Prestige 2009, à la texture bien serrée. Le Domaine Grand Veneur Les Origines Chateauneuf-Du-Pape 2010, à la fois élégant et très généreux. Et le Masi Costasera Amarone Classico 2009, épicé et complexe.

Domaine Grand Veneur Les Origines Châteauneuf Du Pape 2010 Masi Costasera Amarone Classico 2009 Quinta Do Noval Unfiltred Late Bottled Vintage 2007 Messias Colheita 1994

Du côté des vins sucrés, à prendre au dessert, au fromage ou au milieu de l’après-midi comme en fin de soirée, j’ai bien aimé le Quinta Do Noval Unfiltered LBV 2007, qui sent super bon la mûre et la réglisse, ainsi que le Messias Colheita 1994, à la texture veloutée et à l’acidité bien présente.

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