Hors des sentiers battus – Novembre 2017

À qui mieux mieux

par Marc Chapleau

Marc Chapleau

Marc Chapleau

J’aurais dû sauter de joie en découvrant à quel point le Vila Regia Sogrape 2016 était bon. Vraiment, à 9 $, voilà un étonnant rouge portugais du Douro, léger et acidulé, très bien pourvu en fruit. En prime, pas de sucre résiduel apparent – en soi, déjà une prouesse dans cette gamme de prix.

Sauf qu’autant j’avais envie de féliciter les oenologues de Sogrape, autant je me suis mis à m’en vouloir, personnellement, d’acheter des vins au gros prix alors que celui-ci, vendu une bouchée de pain, fait tout à fait la job, comme on dit.

Maudite passion, maudit trou sans fond…

Et là, tandis que je réfléchissais à mon comportement débridé d’amateur de vin, limite buveur d’étiquette, m’est revenue en mémoire une dégustation surréaliste à laquelle j’avais été amené à participer, au milieu des années 2000.

Je faisais alors partie d’un groupe qui se réunissait une fois par mois. Normalement, on décidait à l’avance d’un thème et chacun apportait une bouteille de circonstance.

Sauf qu’à deux ou trois reprises dans l’année, pas de thème qui tenait puisque l’un des participants, par ailleurs modeste fonctionnaire du gouvernement fédéral, régalait.

Un de ces soirs « gratuits », le mec en question convie notre petit groupe de cinq personnes à une dégustation comparative à même une sélection puisée dans sa réserve personnelle : quatre grands crus du domaine Leroy vs quatre vins du domaine de la Romanée-Conti (DRC). Millésime 1999, excusez du peu.

Rien à cotiser – ou plutôt si : « Payez-moi le repas, et ça va aller » avait-il proposé.

Be my guest, mon homme. Choisis même deux entrées, quatre plats principaux et rapporte les restes dans un doggy bag, aucun, mais alors aucun problème.

Parce que, pour ceux qui ne s’en douteraient pas, les huit bourgognes rouges qu’il a gracieusement alignés sur la table ce jour-là valaient à l’époque, au total, pas loin de 5 000 dollars.

Il vend de la drogue, il fait dans la traite de la blanche, ai-je d’ailleurs longtemps cru (avant de le perdre totalement de vue) de ce type qui roulait en Corolla, et pas de l’année à part ça.

Comment c’était, cette fameuse dégustation ?  Ai-je, perso, été soufflé par la qualité de ces bouteilles de rêve, servies à la température idoine, dans de beaux grands verres ?

À la vérité, c’était… poche.

Je ne me rappelle même plus, c’est dire, qui avait remporté le match. Lalou-Bize (Leroy), je pense, grâce à son Richebourg, quoique le Grand Échezeaux de la DRC était impressionnant.

Pourquoi cette déception ? Parce que notre pusher était un buveur d’étiquettes dans les grandes largeurs, qui n’achetait que du coté 95 et plus par Robert Parker. En plus, il avait une grande gueule. Que même son incommensurable générosité n’a pas rattrapé.

Le comble, c’est qu’on a ensuite accompagné ces joyaux de poulet à la sauce aigre-douce commandé par lui auprès d’un resto chinois du coin… Beurk ! Zéro sur toute la ligne.

Moralité ? Il n’y a pas plus de grands vins que de grandes bouteilles.

L’essentiel, ce qui compte, la clé du succès, c’est d’être entouré des bonnes personnes. Faute de quoi, pas de magie, ça ne marche pas.

Ainsi monsieur M’as-Tu-Vu a eu beau faire des sparages et pousser des oh ! et des ah !, l’ambiance n’était pas à la fête.

Comme quoi, à cheval donné, on est parfois obligé de composer avec la bride…

P.-S. C’est en gros pour la même raison que les dégustations « caritatives » comme Montréal Passion Vin déçoivent. Une pléthore de grands vins, certes, mais à « partager » entre plusieurs centaines de personnes, dont quantité de buveurs d’étiquettes, dans une salle d’hôtel sombre et déprimante. Le fait que ce soit pour une bonne cause ne change rien au constat.

À BOIRE, AUBERGISTE

Trêve de réminiscences, allons-y à présent pour le partage de plusieurs belles bouteilles dégustées récemment. Santé !

Il Grigio Da San Felice Gran Selezione Chianti Classico 2013 – Excellent chianti-classico, à la fois gourmand et élégant, d’une texture suave et serrée. Tout à fait à point, bien qu’il se conservera aisément quelques années en cave. Prix – 46,50 $ – mérité.

San Felice Vigorello 2013 – L’un des tout premiers supertoscans, apparu en 1968. Issu d’un assemblage de pugnitello (cépage indigène) et de cépages bordelais, le Vigorello est bourré de vigueur, c’est le mot, avec sa minéralité et ses tannins bien serrés. Encore jeune, encore un peu sur la retenue, il devrait donner le meilleur de lui-même d’ici 4 à 5 ans.

Les Vins De Vienne Crozes Hermitage Blanc 2015– Et dire qu’il n’y a pas si longtemps – ô, voilà quand même 10 ou 15 ans -, les blancs du Rhône étaient dans l’ensemble patauds, ils manquaient de nerf, de tonus, de stamina… Or celui-ci, 100 pour cent marsanne, est d’un exquise fraîcheur tout en étant concentré et généreux. Caractère légèrement floral par ailleurs. À 35 $, une très belle bouteille à marier à des pétoncles, du homard – du crabe aussi, si on était encore dans la saison.

Il Grigio Da San Felice Gran Selezione Chianti Classico 2013San Felice Vigorello 2013Les Vins De Vienne Crozes Hermitage 2015

Raymond Reserve Cabernet Sauvignon 2014 – Un Cab californien (la Napa) fruité et généreux, titrant 15 pour cent d’alcool. Très sweet fruit, on dirait presque qu’il est sucré mais non, il n’y a que 2,7 g/l selon saq.com. Aucune trace de verdeur, c’est dire, ni d’arôme végétal plus ou moins proche du poivron. À mettre de côté quelques années ou à carafer en début d’après-midi, pour le soir.

Georges Descombes Brouilly 2015 – À millésime solaire, beaujolais d’exception. Pur fruit et grande fraîcheur, avec en prime du corps et de la concentration. Excellent !

Domaine Tariquet Les Premières Grives 2016 – Vin du sud-ouest de la France à base de gros manseng (prononcer man-sein), rappelant le muscat, fruité et parfumé, sucré (58 g) mais exquisément soutenu par l’acidité. Avec une entrée de prosciutto et figues, l’affaire sera entendue !

Raymond Reserve Cabernet Sauvignon 2014Georges Descombes Brouilly 2015Domaine Tariquet Les Premières Grives 2016

Terre Rouge Tête à Tête 2011 – Assemblage californien de syrah (60 %), de mourvèdre (30 %) et de grenache. Un peu d’acidité volatile au premier nez et un début d’évolution ; en bouche, c’est corsé et costaud, mais aussi savoureux et pas lourd du tout. Pour mémoire : seulement 2,5 g de résiduel.

Terre Rouge Les Côtes De L’ouest Syrah 2013 – Une syrah californienne typée et boisée, passablement « sweet fruit », bien mûre. L’acidité est cependant au rendez-vous, l’ensemble est à la fois équilibré et d’une bonne fraîcheur.

Pierre Gaillard La Dernière Vigne Syrah 2015 – Belle réussite en 2015 pour cette syrah d’entrée de gamme qui n’en est pas vraiment une, tant l’offre est alléchante : un rouge du Rhône bien typé avec un boisé léger et en bride, saveurs mi-corsées, juste assez tanniques, ensemble très digeste.

Terre Rouge Tête à Tête 2011Terre Rouge Les Côtes De l'Ouest Syrah 2013Pierre Gaillard La Dernière Vigne Syrah 2015

Marc

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