L’Argentine viticole

Changement de cap
par Marc Chapleau

Je me souviens encore de ma première visite en Argentine, de mémoire en l’an 2000. Un voyage de presse qui nous avait amenés à sillonner pour l’essentiel Mendoza et la région de Salta, au nord-ouest, pas très loin de la Bolivie.

Les paysages sont magnifiques, on s’en doute. Un délice pour les yeux et pour l’esprit. Mais qu’est-ce que nos gencives avaient écopé : les vins étaient de manière générale fortement acidifiés et ô combien boisés… Des rouges puissants, certes, mais aussi tout d’une pièce, sans beaucoup de raffinement.

Dix-sept ans plus tard, force est de constater que le pays a fait de gros progrès.

L’Argentine n’est vraiment plus ce qu’elle était. Ses vins sont moins acidulés et moins robustes, et dans la foulée ils s’avèrent souvent aussi plus élégants et plus digestes.

Un gros joueur

À l’échelle mondiale, la patrie de Lionel Messi pointe au cinquième rang des plus importants producteurs de vin – derrière l’Italie, en première place, la France, l’Espagne puis les États-Unis.

Et le malbec continue d’y être le cépage emblématique, la star incontestée. À titre d’exemple, en 2016, il s’est vendu chez nous, à travers le Canada, près de 900 000 caisses de Malbec. Le plus proche poursuivant, le vin argentin le plus vendu après le Malbec, c’est le Chardonnay, avec 57 000 caisses écoulées. Quinze fois moins !

Les vignerons argentins ne se reposent pas pour autant sur leurs lauriers, se contentant de produire, année après année, une armada de rouges très corsés et très colorés.

Au contraire : on assiste, depuis quelques années, à l’avènement de producteurs soucieux d’élaborer des vins plus légers, plus frais, plus faciles à boire et plus à même d’accompagner la nourriture, à table. La beauté de l’affaire, c’est que les gros joueurs – les Trapiche, Zuccardi, Catena et cie – ont l’air d’avoir emboîté le pas.

Répondre à la demande

Que s’est-il donc passé ? Quelle mouche les a piqués ? Deux choses : primo, et possiblement le paramètre le plus important, les critiques et autres influenceurs – y compris les États-Uniens – recherchent aujourd’hui des vins moins lourds et moins boisés. La demande mondiale va en ce sens, autrement dit.

Secundo, les vignerons eux-mêmes – et les flying winemakers comme Michel Rolland et Paul Hobbs aussi – se sont à l’évidence rendus compte que trop de tout, à commencer par l’uniformité, cela tuait le vin. Joignant le geste à la parole, ils sont de plus en plus nombreux à vinifier pour ainsi dire plus délicatement et à vendanger à maturité optimale (et non maximale), à utiliser peu ou pas de bois, peu ou pas de remontage non plus (pour éviter de surextraire), ils ont recours à la macération carbonique (comme dans le Beaujolais, notamment), ils vinifient en grappes entières, etc.

Autant de décisions qui permettent au fruit, et souvent au terroir aussi, de mieux s’exprimer.

Par-delà le malbec 

Outre ce changement d’attitude, de paradigme comme ils disent là-bas, soulignons l’émergence de cépages moins usités que le fameux malbec : chardonnay, bonarda et cabernet franc, notamment.

En altitude, souvent. Et c’est là un élément-clé sous cette latitude. Plus d’acidité naturelle, plus de fraîcheur. Et selon les cépages, moins de caractère végétal. Cela vaut également pour le malbec, de plus en plus souvent planté au-dessus de 1 000 mètres et jusqu’à près de 3 000 mètres.

Un mot maintenant sur le torrontes, ce cépage qui donne des vins aux accents muscatés. Un blanc avec lequel l’Argentine marque beaucoup de points, d’autant que le développement de la technologie et un meilleur équipement permettent d’en préserver les principaux attributs, à commencer par le fruité exubérant. Comme pour le muscat sec d’Alsace, le torrontes peut dérouter au premier abord : ses odeurs donnent à penser qu’il sera sucré, alors qu’il est souvent bien sec. À la bonne heure ! À table, pensez rouleaux impériaux, asperges, prosciutto ou tarte aux poireaux. Sinon on peut le prendre pour lui-même, à l’apéritif.

En voiture !

Les vins argentins, malgré les progrès enregistrés, demeurent dans l’ensemble généreux et relativement corsés – et on ne s’en plaint pas. Mais quel changement ! Le train est non seulement en marche, il est en voie d’arriver à bon port, dans bien des cas.

D’autant plus réjouissant comme perspective pour le consommateur que les prix restent, en règle générale, abordables.

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À BOIRE, AUBERGISTE

À l’invitation de Wines of Argentina, j’ai récemment dégusté une série de vins actuellement offerts à la SAQ. Voici ceux que j’ai retenus de l’exercice et qui témoignent bien de cette nouvelle vision du vin adoptée par plusieurs producteurs du cru.

Susana Balbo Crios Red Blend Mendoza 2015 – Beau fruit bien présent, bonne acidité, astringence de bon aloi. Tout ça dans une enveloppe mi-corsée et très engageante. Ça a des angles, et on aime ça ! Surtout à moins de 18 $. Bel exemple du renouveau argentin. [17,95 $]

Terrazas de Los Andes Malbec Reserva 2015 – Excellent malbec argentin, très moka au premier nez sans que le boisé ne soit envahissant, des notes viandées et de mûre, également ; bonne profondeur aromatique. En bouche, ce rouge est à la fois souple et corsé, généreux et bien pourvu en acidité. Finale sur la fraîcheur. Vaut tout à fait son prix. [21,70 $]

Susana Balbo Crios Syrah Bonarda 2015Terrazas De Los Andes Reserva Malbec 2015Altos Las Hormigas Malbec 2015Zuccardi Concreto Malbec 2015

Altos Las Hormigas Malbec Classico Mendoza 2015 – Café au premier nez, des notes de sueur, une certaine complexité. Acidité notable au nez, saveurs mi-corsées, légère astringence, bonne persistance. [19,65 $]

Zuccardi Malbec Concreto Uco Valley 2015  – Belle ampleur en bouche, acidité marquée, presque mordante. Texture serrée, de la profondeur ; pour l’heure un peu austère, mais deux ou trois ans de cave lui seront bénéfiques. [IP]

Ciclos Malbec-Merlot Calchaqui Valley 2013 – Puissant et assez capiteux (15 % d’alcool), de la mâche, du bois passablement mais aussi le fruit pour équilibrer le tout. À table : avec les viandes rouges, évidemment, voire le gibier. Sorte de châteauneuf-du-pape en plus costaud, plus enrobé. [22 $]

Ciclos Icono Malbec Merlot 2013El Esteco Don David Torrontes Reserve 2016El Esteco Ciclos Torrontés 2016

El Esteco Don David Torrontes Reserve 2016 – Un très bon blanc muscaté, c’est dans la même « famille », et d’une étonnante pureté de fruit. Pratiquement sec par ailleurs, vif, de l’éclat. Droit comme un fil ! Bien tendu ! [ 17 $]

Ciclos Torrontes 2016 – Des arômes muscatés et viandés, rappelant le gewurztraminer. Du corps, de la puissance, nerveux et net, les saveurs sont bien dessinées. Excellent ! [19 $]

Colonia Las Liebres Bonarda Clasica 2015 – Très bon vin, souple et concentré à la fois, avec une certaine complexité. Un caractère peu corsé, avec des airs de bourgogne. Très réussi. [16,60 $]

Trapiche Medalla Cabernet Sauvignon 2013 – Capiteux, on sent l’alcool, mais c’est aussi bourré de fruit, et l’acidité lui donne du tonus. Il y a de la profondeur également, et la persistance est notable. Mais soyez prévenus : c’est du costaud ! [20,95 $]

Colonia Las Liebres Bonarda Clasica 2015Trapiche Medalla Cabernet Sauvignon 2013Catena Malbec High Mountain Vines 2015Alma Negra M Blend 2015

Catena Mendoza 2015 – Boisé marqué mais fin – au fait, le vin est 100 pour cent malbec même si ce n’est pas dit sur l’étiquette. Saveurs mi-corsées, plutôt élégantes, bon mariage bois-fruit. [19,95 $]

Alma Negra M Blend 2015 – Comme à l’accoutumée, un bon assemblage argentin, à la fois fruité et boisé, souple, bien « travaillé », qui plaira au plus grand nombre ainsi qu’aux connaisseurs. [19,20 $]

Marc Chapleau

Crédit photo: Wines of Argentina