Soif d’ailleurs avec Nadia

« Emmenez-moi, au bout de la terre »
par Nadia Fournier

Nadia Fournier

Nadia Fournier

J’ose à peine le dire, mais… j’ai commencé l’année 2017 par une petite fugue. Pendant un long mois, j’ai fui l’hiver québécois pour me laisser bercer par l’été de l’hémisphère sud, en Nouvelle-Zélande. Au programme, une visite extensive des régions viticoles – du nord de l’île du Nord, au sud de l’île du Sud – et une conférence de trois jours dédiée au pinot noir, cépage rouge désormais emblématique de ce pays insulaire du bout du monde.

Pour sa 6e édition, Pinot Noir NZ proposait une réflexion en profondeur sur le pinot noir, à travers un thème: Turangawaewae, le « lieu où l’on existe », un principe fondateur de l’identité maorie.

Aborder le pinot noir à travers le thème de l’appartenance à un lieu… Quelle excellente idée!

Après tout, les Bourguignons ont bien leurs climats et le reste de la France a son terroir – que les anglophones traduisent par « somewhereness », faute de meilleur mot. Pourquoi les Néo-Zélandais n’auraient-ils pas leur turangawaewae (prononcer tou–ranne–gâ–wé–wé)?

Ouverture de la conférence par un powhiri traditionnel d’accueil par les tangata whenua.

Ouverture de la conférence par un powhiri traditionnel d’accueil par les tangata whenua.

Même s’ils abordent le sujet en parlant de « LEUR turangawaewae », les Maoris n’entretiennent pourtant pas de lien de possession avec la terre. Ils appartiennent à leur turangawaewae beaucoup plus qu’ils ne le possèdent. Ce lieu les façonne, leur confère leur identité. C’est d’ailleurs en ces mots que les trois dirigeants de Tohu, une importante cave coopérative tenue par des Maoris, ont défini leur lien à la terre.

Le discours de Nick Mills, vigneron à Wanaka, dans Central Otago s’inscrivait dans la même lignée. « Mon nom est Nick, ma planète est la Terre, ma montagne, Tititea, ma rivière, Matao; ma ville est Wanaka, ma ferme est Rippon. Je suis un produit de mon environnement. À cet égard, j’ai eu peu de choix à faire, puisque je suis né à Rippon. Je peux parler de ma place, mais elle ne m’appartient pas. (Ma famille et moi) nous sommes vus confier la garde d’un terrain très spécial. Nous en prenons soin collectivement, mais avec le temps, chacun d’entre nous a développé sa propre relation unique avec Rippon. »

Nick Mills et le vignoble de Rippon, à Wanaka, dans Central Otago.

Nick Mills et le vignoble de Rippon, à Wanaka, dans Central Otago.

Pour Nick Mills, le pinot noir – et la vigne dans son sens large – est un vecteur de relation avec la terre. Un moyen par lequel l’homme exprime l’essence d’un lieu. C’est pour cette même raison que son père, Rolf Mills, a misé sur la viticulture, plus que sur tout autre type d’agriculture, lorsqu’il a racheté la propriété ancestrale dans les années 1970. Aujourd’hui, Rippon produit d’excellents riesling et gewürztraminer, mais sa renommée repose surtout sur la profondeur de ses vins de pinot noir (disponibles en importation privée via l’agence réZin).

Poussant un peu plus loin la quête du goût du terroir et l’expression du turangawaewae s’exprime, l’œnologue Dom Maxwell (Greystone et Muddy Water, dans Waipara), a présenté les résultats d’une expérience menée lors des dernières années. Partant du principe que les levures présentes dans les sols font partie intégrante du terroir, Maxwell a déplacé des cuves de fermentation au cœur du vignoble où étaient cueillis les raisins, afin d’y conduire les vinifications. Les résultats de l’expérience menée sur quelques années se sont avérés plutôt satisfaisants, avec des degrés l’alcool systématiquement plus faibles (0,5 % de moins) et une trame aromatique moins fruitée et plus «terreuse».

Sans référer directement aux essais de Maxwell, Michael Brajkovich, œnologue de Kumeu River (dont quelques chardonnays exceptionnels sont disponibles à la SAQ) est venu renforcer ses propos, en présentant une étude qu’il a menée conjointement avec des chercheurs de l’université d’Auckland, quant au Rôle des levures indigènes dans la production de vins de climat frais. Brajkovich soutient que l’usage exclusif de ces levures naturellement présentes dans les vignobles joue, selon lui, un rôle significatif dans le goût des vins, en nourrissant la texture en bouche et en diminuant les arômes fermentaires pour laisser place au goût du cépage et du terroir.

Toujours dans un registre de wine geeks, la célèbre auteure britannique Jancis Robinson a abordé la question de la vie microbienne des sols et de son impact sur l’expression du terroir. Un sujet dont on entend de plus en plus parler dans le vignoble de Bourgogne. S’écartant un peu des microbes pour positionner le pinot noir de Nouvelle-Zélande dans son contexte global, la co-auteure de L’atlas mondial du vin et de Wine Grapes s’avouait par ailleurs agréablement surprise de ne pas avoir entendu plus fréquemment le « B-word » – Burgundy, pour ne pas le nommer – au cours des trois jours de la conférence.

« Cette approche néo-zélandaise pure à 95 % aurait été inimaginable il y a à peine 10 ans. Ça me donne aujourd’hui l’impression d’une réelle confiance acquise. »

Cette confiance se manifeste dans les mots, mais aussi dans le verre. Enfin, de plus en plus. Ceux de Churton, commentés ci-dessous, en sont de beaux exemples. L’offre à la SAQ n’est pas encore tout à fait représentative du dynamisme observé sur place, mais j’ai de bonnes raisons de croire que les choses bougeront d’ici quelques années. En attendant, gardez l’œil ouvert au restaurant. Avec un peu de chance et autant de budget, vous pourrez peut-être mettre la main sur une bouteille de Black Hill, Pyramid Valley, Rippon, Bellbird Spring et autres oiseaux rares.

À la vôtre!

Vins de kiwis

Biodynamie, petits rendements et vinifications « à l’ancienne », le travail de Mandy et Sam Weaver, à Churton, illustre à merveille le visage moins connu de Marlborough. Leur Sauvignon blanc 2016 (24,40 $), par exemple, se situe à des lieues des vins blancs vifs et hyper parfumés, autant qu’il rompt avec cette image commerciale qui colle à Marlborough. On retrouve cette même combinaison d’élégance et de retenue dans leur Pinot noir 2013 (33,25 $); porté par des tanins très fins et serrés, qui encadrent le fruit. Deux belles bouteilles qui proposent une expression pure et sincère de leur terroir d’origine et qu’on boirait sans même avoir soif.

Le vignoble de Churton, dans Marlborough.

Le vignoble de Churton, dans Marlborough.

Restée coopérative depuis sa création en 1998, Tohu est la plus importante entreprise viticole de propriété maori. Leur Sauvignon Blanc 2015 (22,55 $) est toujours impeccable. Nerveux, doté d’une longueur appréciable et d’un caractère affirmé. Voyons-y un trait de l’héritage maori.

Si le sauvignon a fait le succès de Marlborough, les cépages rouges bordelais ont plutôt trouvé leur terrain de jeu rêvé dans Hawke’s Bay, sur la côte est de l’île du Nord. Merlot, cabernets (sauvignon et franc), malbec et petit verdot – mais aussi la syrah – y fleurissent sous un climat plus chaud et donnent des vins souvent musclés, parfois distingués.

Churton Sauvignon Blanc Marlborough 2016Churton Estate Pinot Noir 2013Tohu Sauvignon Blanc 2015Craggy Range Gimblett Gravels Vineyard Te Kahu 2013

L’un des emblèmes de la région est Craggy Range, un immense domaine installé au pied du mont Te Mata. Composé essentiellement de merlot, le Te Kahu 2013 (27,85 $) est riche en saveurs et séduisant, mais aussi taillé pour la table, avec une bouche fraîche et nette. Déjà ouvert et agréable à boire, il a assez d’étoffe pour se bonifier encore jusqu’en 2020-2022.

De l’autre côté de l’océan Pacifique…

Le Chili produit aussi des pinots noirs étoffés dans la vallée de Casablanca, à une dizaine de kilomètres de la côte, au sud de Valparaiso. Développé il y a une dizaine d’années, le vignoble de Montsecano est conduit en agriculture biologique par un petit groupe de vignerons franco-chiliens, dont l’Alsacien André Ostertag qui a, de toute évidence, su adapter son savoir-faire au terroir local. De tous les millésimes vendus à la SAQ jusqu’à maintenant, le Pinot noir 2015, Refugio (26,05 $) est le plus achevé. Mûr et savoureux, mais surtout racé, élégant et hyper digeste. On peut le boire dès maintenant à condition de l’aérer en carafe, mais il n’atteindra son apogée que vers 2019.

Montsecano Y Copains Pinot Noir Refugio 2015Clos Des Fous Subsollum Pinot Noir 2014Clos Des Fous Chardonnay Locura 1 2014De Martino Legado Reserve Chardonnay 2014

Sur un mode un peu plus mûr, le Pinot noir 2014, Subsollum (26,80 $) du Clos des Fous est issu d’un assemblage de raisins de Pucalán (Aconcagua) et de Traiguén (Malleco). Stylistiquement à mi-chemin entre un bourgogne générique et un pinot de Central Otago; le grain tannique est assez ferme et le vin offre beaucoup de mâche et de chair fruitée pour le prix.

Le Chardonnay Locura 1 du Clos des Fous, qui se donne des petits airs de Mâcon en 2014, est tout aussi convaincant, quoique un cran moins structuré que le délicieux Chardonnay Legado 2014 de chez De Martino, un excellent blanc produit sur les sols calcaires de Limari. À la fois gras, solide et vibrant de fraîcheur. Un achat d’enfer à moins de 20 $.

Retour aux sources

Parlant d’aubaines, la Bourgogne n’est pas en reste. La nature généreuse de 2015 a été favorable au Petit Chablis du Domaine d’Élise (22,05 $), qui a pris du volume en bouche, tout en conservant sa vigueur et sa minéralité. Très net, délicatement citronné et vraiment rassasiant pour le prix. Si vous aimez votre bourgogne blanc un peu plus enrobé, vous voudrez goûter le Marsannay blanc 2014 de la gamme Signature de Jean-Claude Boisset. Des saveurs précises, du volume et de la structure, mais sans lourdeur, et une trame minérale qui lui donne beaucoup de prestance. Belle bouteille!

Domaine D'élise Petit Chablis 2015Jean Claude Boisset Marsannay 2014François Gay Et Fils Chorey Lès Beaune 2012Le Clos Du Caillou Bouquet Des Garrigues 2014

En rouge, les nostalgiques du pinot noir classique voudront goûter le Chorey-lès-Beaune 2012 du domaine François Gay  (35,75 $). Pascal, le fils de François, reste attaché à la tradition bourguignonne et privilégie avant tout la pureté et la légèreté dans ses vins. Un style à contre-courant, d’autant plus remarquable dans le contexte du millésime 2012, qui a donné des vins rouges un peu massifs. À laisser reposer en cave jusqu’en 2020.

Et une magnifique bouteille à ne pas manquer

Depuis que j’ai commencé à m’intéresser au vin, il y a une quinzaine d’années, j’ai souvent lu et entendu que le grenache, cépage du sud de la vallée du Rhône, pouvait donner des vins dont la finesse et les parfums s’apparentent au pinot noir. Très peu de bouteilles m’ont cependant permis d’en faire l’expérience. La première était un Château Rayas 2006. La deuxième m’est arrivée comme une surprise l’été dernier.

Produit sur le terroir de Courthézon, tout près de la zone de Châteauneuf-du-Pape, Le Bouquet des Garrigues (26,60 $) de Sylvie Vacheron (Le Clos du Caillou) est en tous points remarquable en 2014. Un Côtes du Rhône générique vraiment hors norme, aussi complexe en bouche qu’au nez, avec des goûts de griotte et de terre humide, et une trame soyeuse et aérienne, faisant à peine sentir les 14,5 % d’alcool. On achète à la (demi) caisse!

Nadia Fournier

Note de la rédaction: vous pouvez lire les commentaires de dégustation complets en cliquant sur les noms de vins, les photos de bouteilles ou les liens mis en surbrillance. Les abonnés payants à Chacun son vin ont accès à toutes les critiques dès leur mise en ligne. Les utilisateurs inscrits doivent attendre 30 jours après leur parution pour les lire. L’adhésion a ses privilèges ; parmi ceux-ci, un accès direct à de grands vins!


Publicité
Beringer Knights Valley Cabernet Sauvignon 2014