Culmina: un domaine au sommet

par David Lawrason, traduction par Rémy Charest

Parmi les vins mythiques du monde, nombreux sont ceux qui ont reçu des noms simples, d’un seul mot, au ton classique et chargé de sens. Plusieurs de ces noms se terminent avec la lettre « a », comme Solaia et Ornellaia, en Italie, ou Insignia, en Californie. Je me méfie parfois de ces vins, parce qu’ils ne livrent pas la marchandise à la hauteur du nom. Il est beaucoup plus facile de se donner des airs importants que d’être véritablement important.

Culmina, le plus récent de ces domaines-dont-le-nom-finit-en-a, dans la vallée de l’Okanagan, en Colombie-Britannique, offre une contribution importante au monde du vin de la Colombie-Britannique et du Canada. En examinant la gamme complète, dans les bureaux de WineAlign/Chacun son vin, récemment, je n’arrêtais pas de me dire que ces vins montraient un état de grâce que bien des vins britanno-colombiens n’ont toujours pas atteint. On y trouve un sens du détail et un caractère compact très rarement vu dans des vins aussi récemment mis en marché.

(Au bas de ce profil, vous trouverez les choix des critiques de WineAlign/Chacun son vin, tirés d’une dégustation récente des vins de Culmina.)

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Pourquoi ? Possiblement parce que Culmina n’est pas totalement nouveau. Le chai est tout neuf, les vignes sont jeunes et le nom est nouveau, mais les vins sont en fait le point culminant des carrières de trois hommes et deux femmes aux racines profondes, dans le monde du vin, des gens qui contribuent non seulement de leur expérience, mais aussi d’une compréhension particulière de ce qu’il faut pour produire de bons vins dans le sud de l’Okanagan.

Les fondateurs de Culmina sont Donald et Elaine Triggs, et leur nom de famille se retrouve sur un plus grand nombre de bouteilles de vin canadien que tout autre nom. Après que le partenariat établi par Alan Jackson et Donald Triggs se soit dissout dans une série d’acquisitions d’entreprises, au cours des années 1990 et 2000, Donald Triggs aurait pu devenir un retraité et grand-père heureux. Avec Elaine, il devait plutôt se lancer dans un nouveau projet qui allait mettre leurs longues années d’expérience à contribution.

Une partie de cette expérience remontait au lancement d’Osoyoos-Larose, dans le sud de l’Okanagan, un partenariat entre le Groupe Taillan et Vincor (dont Donald était président, à l’époque). Dès le départ, le projet avait été conçu autour d’un seul vin, un ambitieux assemblage bordelais. Du sérieux, quoi !

Pour ce projet, Triggs avait engagé deux spécialistes issus de Bordeaux : Alain Sutre, spécialiste renommé de la viticulture, et l’œnologue Pascal Madevon. Les deux hommes avaient acquis une solide connaissance des sols des plateaux surplombant la vallée, des températures ayant cours aux différentes altitudes, du gel et de l’écoulement de l’air, et des caprices et défis des différents millésimes dans ces latitudes nordiques. Madevon, après dix ans à y produire des assemblages, avait acquis une capacité à produire d’excellents vins de façon constante.

Ces deux hommes allaient jouer un rôle essentiel dans la création de Culmina. Avec l’aide de Sutre, la recherche d’un site idéal pour les cépages bordelais était lancée en 2006, l’achat d’une première parcelle de la propriété actuelle ayant lieu l’année suivante (on vous en reparle un peu plus loin), suivie de l’acquisition de parcelles sur des plateaux plus élevés en 2009.

Au cours de l’été 2016, Madevon et Sutre sont tous deux passés à des rôles de consultants chez Culmina et Triggs a engagé l’oenologue français Jean-Marc Enixon comme chef de culture et oenologue en chef. Avec dix ans d’expérience au sein du domaine familial à Bordeaux, ainsi que des séjours en Californie et en Chine, Enixon est un vigneron d’avant-garde, avec une approche « nouvelle France ». « Il apporte une nouvelle vision et une nouvelle énergie », explique Don Triggs.
Triggs a toujours eu le don de s’associer aux bonnes personnes. D’ailleurs, la plupart de son expérience est du côté de l’administration et des opérations – construction, développement de la marque, marketing – des tâches qu’il partage désormais avec Elaine et leur fille Sara. Elaine avait pris activement part à la gestion du vignoble Delaine, dans l’appellation Niagara River, quand le couple l’avait acheté en 1998, et elle en avait fait une des meilleures sources de syrah et de sauvignon blanc de tout le Niagara. Sara, la plus jeune de leurs trois enfants, détentrice d’une maîtrise en Wine Business de l’Université d’Adelaide, en Australie, contribue pour sa part un savoir faire spécialisé en gestion et en marketing du vin. De fait, j’ai rarement vu un travail de marketing aussi attentif, soutenu et bien coordonné dans le monde du vin canadien.

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Les vignobles

J’ai visité les vignobles de Culmina sur le Golden Mile Bench en 2014, alors que j’étais dans l’Okanagan comme juge du Concours des meilleurs vins canadiens de WineAlign. J’ai sauté dans une camionnette avec Donald et Pascal Madevon et nous nous sommes d’abord arrêtés près du chai, sur un site qui comptait au départ 12 acres de vignes d’un domaine précédent (au total, le domaine a acquis 44 acres, mais le reste n’était pas planté). Le site comptait des vignes de cépages rouges bordelais, immédiatement identifiées comme inadéquates, mais aussi un bloc de chardonnay plus intéressant. La première décision difficile, pour Triggs, consistait à décider s’il gardait les chardonnays, ce qui lui donnerait de la production dès le départ, ou s’il repartait à zéro en fonction de sa propre vision. Il allait décider de tout arracher.

Les vignobles de Culmina sont installés sur le versant ouest de la vallée, avec des expositions au sud-est qui permettent de recevoir la lumière du matin, quand les températures sont plus fraîches, et d’être à l’ombre quand le soleil de fin de journée est au plus chaud. Leur altitude était aussi un attrait important : le Margaret Vineyard est le plus haut du sud de l’Okanagan, un site vraiment frais qui se retrouve exclu de la nouvelle appellation Golden Mile Bench parce qu’il se trouve au-dessus de la limite d’altitude définie sur les cartes.

Les données de base ne suffisaient pas pour Triggs, toutefois. Il allait donc installer 20 stations météo et creuser 66 puits pour explorer la nature des sols. Ceci allait permettre de créer une carte du site basée sur les microclimats et les sols, avec 45 blocs distincts d’environ 1,25 acres chacun. Après toute cette analyse, il avait une bonne idée des cépages à planter, mais aussi des porte-greffe à employer. Rien n’était laissé au hasard.

Ce premier vignoble, appelé Arise Bench, a des degrés-jours similaires à ceux de Bordeaux et a été planté de cabernet sauvignon, de cabernet franc et de merlot, avec un brin de syrah et de malbec dans les secteurs les plus chauds. Le cabernet franc a aussi été planté dans les secteurs contenant le plus de calcium, tandis que le merlot se retrouve dans les zones les plus près de l’ombre de la montagne, ce qui permet de protéger les arômes délicats du cépage.

De retour dans le camion, nous avons monté une pente raide vers un vignoble qui suivait les courbes d’un long plateau en terrasses. À sa limite se trouve un promontoire rocheux que nous avons grimpé à pied, afin de profiter d’une des vues les plus spectaculaires de tout le sud de l’Okanagan qui embrasse la vallée d’Oliver, au nord, jusqu’à Osoyoos, au sud. Sur ce piton rocheux, Donald Triggs s’était senti enthousiaste au point de danser une petite gigue, faisait jaillir un petit nuage de sol poussiéreux.

Donald Triggs

Ce site, le Margaret’s Bench, est plus frais, avec des degrés-jours se rapprochant plus de la Bourgogne. On y a donc planté trois cépages blancs – le chardonnay, le riesling et le grüner veltliner d’Autriche –  le positionnement de chaque combinaison de clone et de porte-greffe étant déterminée en fonction des variations du sol. Le grüner veltliner se trouve ainsi dans les sols qui offrent des éléments de schiste, tandis que le riesling et planté sur des sols plus rocailleux.

De retour dans le camion, nous sommes repartis vers le sud, en direction de Stan’s Bench. Là aussi, le riesling et le chardonnay sont à l’honneur dans les sections plus élevées et plus fraîches, mais on a aussi planté du petit verdot et du malbec – deux cépages tardifs – dans les sections plus basses, qui ont le plus grand nombre de degrés-jours de toute la propriété. Au bout de cette parcelle, une surprise nous attendait également sur une pente abrupte : une parcelle de vignes taillées en gobelet, plantées sans irrigation. Là aussi, il s’agissait du point culminant de ces efforts viticoles, le crescendo d’un plan soigneusement orchestré. 

Le chai

Avec la combinaison d’expériences de Donald Triggs et de Pascal Madevon, la production de vin, chez Culmina, repose sur des méthodes éprouvées et sur quelques éléments technologiques. Né à Paris, en France, l’œnologue Pascal Madevon est détenteur d’un diplôme technique en viticulture et œnologie, ainsi que d’un diplôme national de l’Université de Bordeaux, obtenu en 1989. Il est arrivé dans l’Okanagan en 2002.

Sa philosophie est basée sur deux principes : délicatesse dans le traitement du fruit et interventions minimales sur le vin. Tous les raisins du domaine sont vendangés à la main. Ils sont ensuite transportés dans des petites caissettes pour les protéger et empêcher que leur propre poids ne vienne fendre les peaux avant que les grappes n’arrivent au chai. À l’arrivée, le fruit est trié sur une table vibrante, afin qu’il parvienne en douceur à l’égrappoir. Les raisins sont ensuite traités dans un chai bâti en flanc de colline qui fonctionne par gravité, permettant du coup des soutirages et des transferts de vin sans recours à des pompes.

Le design simple et efficace du chai permet aussi que chaque cuve ne soit utilisée qu’une fois par vendange. En laissant le vin reposer sur les peaux pour une période pouvant aller jusqu’à 24 jours, après la fermentation, on obtient des tannins plus fins et accessibles.

Finalement, un simple pressoir vertical est utilisé pour tous les pressurages. Même si ce genre de pressoir est moins efficace, en terme de rendement, et qu’il demande plus de temps et de manipulations, son pressage délicat permet de s’assurer que les rafles et les pépins ne soient jamais écrasés au point de craquer, évitant ainsi que des tannins verts indésirables se retrouvent dans le vin.

Côté technologie, Culmina utilise un égrappoir Bucher Oscillys importé de France – le premier du genre au Canada – ce qui permet un traitement plus doux du raisin. De plus, des cuves inox modernes, avec contrôle de température et fond conique, ont été importées de France pour la fermentation des rouges. Quand un pompage devient nécessaire (pour les remontages, par exemple), on a recours à une pompe péristaltique – une pompe si délicate qu’on l’utilise également dans les aquariums pour transférer les poissons d’un bassin à l’autre.

Les vins

Vous pouvez lire les notes de dégustation des critiques de WineAlign en cliquant sur les liens ci-dessous.

Au cours de la dernière année, j’ai eu l’occasion deux fois de déguster l’ensemble de la gamme et chaque fois, j’ai été impressionné par l’élégance et la complexité des vins. La cuvée emblématique du domaine, Hypothesis, est un assemblage à base de merlot (comme beaucoup de rouges du sud de l’Okanagan), avec du cabernet sauvignon et du cabernet franc. Ce n’est pas le plus cher du genre, dans l’Okanagan, mais c’est certainement un des meilleurs – particulièrement le 2013, qui sera mis en marché l’année prochaine. Avec trois millésimes, une dégustation verticale reste bien courte, mais on voit tout de même que le 2013 a des arômes fins et de l’élégance, tandis que le 2012 (déjà en vente) se montre bien mûr, un peu plus puissant, avec une tension de jeunesse encore bien présente. Le 2011, premier millésime, tiré d’une année fraîche, est très raffiné, plus réservé et évolue avec subtilité. Moins cher, l’assemblage rouge R&D est sympathique, complexe et tout de même un peu plus musclé. Le rosé 2014, tiré des assemblages rouges, montre aussi une bonne finesse et une belle vivacité.

Culmina 2014 Saignée

« Il offre un joli nez de confiture de groseilles, de framboises et de fines herbes. Moyennement corsé, sec, élégant et souple avec une fraîcheur agréable et une finale bien nette. » David Lawrason

Culmina 2013 R & D Red Blend 

« Il s’ouvre comme un éloge poétique, avec une sensibilité bordelaise et un coup de chapeau aux assemblages exprimant leur provenance. » Michael Godel

Culmina 2012 Hypothesis 

« Le palais offre une abondance de cerise noire, de prune et de mûres, avec des notes salines et du graphite. Excellente concentration, avec des saveurs qui s’expriment en crescendo. » Sara d’Amato

La plupart des discussions relatives aux vins blancs de Culmina tournent rapidement vers le fait que Donald Triggs a planté du grüner veltliner, un cépage autrichien rarissime au Canada, dont il exprime avec brio le caractère variétal. Le vin s’appelle Unicus, et il a connu un succès immédiat, tous les stocks du 2013 et du 2014 s’étant vendus rapidement. Je suis tout aussi impressionné par le Decora, un riesling expressif et tendu, qui obtient ce caractère inattendu, pour le sud de l’Okanagan, grâce à l’élévation du vignoble. Le chardonnay, Dilemma, est plus riche, comme on peut s’y attendre, mais il compte sur une acidité et une minéralité fines.

Culmina 2014 Decora

“Dynamique et bon pour la cave.” Sara d’Amato

Culmina 2013 Dilemma 

« J’aime la fraîcheur et l’équilibre – l’acidité qui éclate en bouche, avec une concentration et une densité authentiques et d’intrigantes notes résineuses et herbacées qui s’entremêlent avec le citron et les fruits à chair blanche. » John Szabo, MS

Culmina Saignée 2014 RoséCulmina R & D Red Blend 2013Culmina Hypothesis 2012Culmina Decora 2014Culmina Dilemma 2013

Chez Culmina, la production est relativement limitée et vise clairement le haut de gamme – bien que les prix soient raisonnables, en rapport avec la qualité. Les vins ne seront donc peut-être pas aussi faciles à trouver que notre clientèle nationale pourrait espérer. Toutefois, de façon exceptionnelle pour un projet aussi récent, la famille Triggs est très consciente du besoin de mettre ses produits entre les mains de bons clients, d’un bout à l’autre du pays. Leur site internet offre les contacts nécessaires.

David Lawrason

Parmi ses contenus réguliers, WineAlign et Chacun son vin goûtent des vins soumis par un seul domaine. Nos chroniqueurs goûtent alors les vins en toute indépendance, comme toujours, et leur donnent une note et un pointage – bon, mauvais ou moyen – et leurs notes sont incluses dans notre base de données. Nous recommandons ensuite, de façon indépendante, les vins qui apparaissent dans le profil du domaine. Les domaines paient pour ce service. Des publicités pour certains des vins peuvent également apparaître sur le site, au même moment que le profil, mais le choix des vins mis en valeur dans le profil revient exclusivement à WineAlign/Chacun son vin. Ci-dessous, vous trouverez de l’information supplémentaire fournie par le domaine.

 


 

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